Michel GURFINKIEL |
Il faudra que le Département d’Etat et le Quai d’Orsay s’expliquent
un jour. Ces deux chancelleries défendent en effet, sur les frontières
d’Israël et le statut des territoires que l’Etat juif a conquis en 1967,
une doctrine baroque, illogique, et contraire aux règles habituelles du
droit.
Le Département d’Etat et le Quai d’Orsay ne contestent pas le droit
d’Israël à « occuper » ce qu’ils appellent « Jérusalem-Est », la
Cisjordanie, ou même Gaza (où l’Etat juif contrôle toujours l’espace
aérien et les côtes). Cette occupation résulte de la guerre de 1967.
Elle a été validée par la résolution 242 du Conseil de sécurité des
Nations Unies, qui reste en vigueur jusqu’à la signature éventuelle d’un
accord de paix.
Ce qu’ils contestent, c’est le contenu qu’Israël donne à son
occupation. L’Etat juif aurait dû se limiter, selon eux, à un contrôle
militaire, voire sécuritaire, de ces territoires, et laisser en état,
pour le reste, la situation qui existait à la veille de la Guerre des
Six jours, le 4 juin 1967. En particulier, Israël n’aurait pas dû créer
des « colonies » en zone « occupée », c’est à dire des ensembles
d’habitation israéliens, qu’il s’agisse de quartiers nouveaux à
Jérusalem ou de villes et villages nouveaux en Cisjordanie. Aujourd’hui,
tant le Département d’Etat que le Quai d’Orsay estiment que ces
« colonies » constituent le principal obstacle au processus de paix
israélo-palestinien et israélo-arabe. Ils exigent donc, dans un premier
temps, leur « gel » immédiat, c’est à dire l’arrêt de toute nouvelle
construction. Et dans un second temps leur « démantèlement » ou au
minimum leur transfert à un futur Etat palestinien en Cisjordanie et à
Gaza. Toutes les « colonies » sont concernées. Y compris le moindre pâté
d’immeubles créé ou rénové par les Israéliens à « Jérusalem-Est »
(c’est à dire au nord, à l’est et au sud de Jérusalem). Y compris un
malheureux hôtel qui vient de s’ouvrir, à proximité de la Vieille Ville,
dans un ancien bâtiment administratif jordanien puis israélien.
A première vue, la doctrine du Département d’Etat et du Quai d’Orsay
est sévère mais juste. Mais un examen plus attentif révèle d’étranges
contradictions. Les deux chancelleries se comportent comme si la « ligne
verte », l’ancienne ligne de barbelés qui coupait Jérusalem en deux
avant 1967, était une « frontière internationale » . On en déduit donc
qu’elles considèrent le secteur israélien d’avant 1967,
« Jérusalem-Ouest », comme partie intégrante d’Israël. Et qu’elles ne
voient pas d’objection à l’installation dans ce secteur, quelque part au
pied de la Knesset ou de Yad-Vashem, des ambassades américaine et
française en Israël, actuellement établies à Tel-Aviv. On se trompe.
Pour les deux chancelleries, Jérusalem-Ouest non plus n’est pas
israélien. Où commence Israël ? Pas de réponse. Un sentiment désagréable
point : pour le Département d’Etat et le Quai, Israël ne commence
peut-être nulle part ; et constitue peut-être, tout entier, une
« colonie », à « geler » puis à « démanteler ».
Le droit international existe. Il a ses principes, ses règles, sa
jurisprudence. Que dit-il, à propos d’Israël et des territoires conquis
en 1967 ?
A l’origine, il y a le Mandat de la Société des Nations (SDN). La
Grande-Bretagne s’est emparée du Levant, jusque là possession turque, en
1917-1918. La SDN valide sa présence au Levant-Sud – la Palestine – en
1923. Moyennant, ainsi que le stipulent les articles II, IV, VI, VII,
XI, XXII, XXIII, de cette décision, l’engagement d’y créer un Foyer
national juif, et d’y assurer une immigration juive massive.
En 1947, l’Onu, qui a succédé à la SDN, partage la Palestine en
trois : un Etat juif en trois enclaves reliées par des corridors, un
Etat arabe et une zone internationale à Jérusalem. Les Juifs de
Palestine acceptent. Si les Arabes avaient fait de même, le Moyen-Orient
n’aurait pas connu onze guerres. Mais les droits dont les Juifs
disposaient dans l’ensemble de la Palestine mandataire auraient été
limités au seul Etat juif.
Les Arabes refusent. Or la nature d’un traité est d’être exécuté.
S’il ne l’est pas, par suite du retrait ou de la défaillance de l’une
des parties concernées, la situation juridique antérieure, statu quo
ante, est reconduite. Par conséquent, comme le note dans un télégramme
au Quai d’Orsay un diplomate français alors en poste à Jérusalem, les
dispositions du Mandat de 1923, à commencer par le Foyer national juif,
restent toujours en vigueur sur l’ensemble du territoire palestinien.
Le nouvel Etat juif, Israël, gagne la guerre. Là où il était
désormais établi, le Mandat est juridiquement « accompli ». Dans les
autres parties de la Palestine, les dispositions de 1923 sont mises en
sommeil, mais nullement abolies. En 1967, la conquête israélienne leur
rend leur actualité, ainsi que le notent des juristes de premier plan :
l’Américain Eugene Rostow, ancien doyen de la faculté de droit de Yale,
et ancien sous-secrétaire d’Etat sous l’administration Johnson, ou
l’Australien Julius Stone, l’un des plus grands experts en droit
international du XXe siècle. Israël n’est pas un « occupant », mais un
souverain légitime. Il peut implanter des habitations juives dans les
zones conquises. Il le doit.
Les pays où le droit joue un rôle dans le débat politique, notamment
les Etats-Unis, savent bien qu’il en est ainsi. C’est pourquoi le
Congrès américain a pu voter en 1995, sous l’administration Clinton, une
loi enjoignant l’installation de l’ambassade américaine en Israël à
Jérusalem. Le Département d’Etat a contré l’opération à travers une
argumentation pragmatique, en faisant valoir que ce transfert était
« politiquement inopportun ». Mais il s’est gardé, à l’époque, d’entrer
dans un débat juridique, qu’il n’aurait pas gagné.
Le Département d’Etat et le Quai d’Orsay traînent des « cultures »
antisionistes, sinon antisémites, depuis fort longtemps. La chance
historique du premier, aujourd’hui, est de travailler avec un président
ouvertement anti-israélien. La chance du second, de travailler pour un
président dont le pro-américanisme consiste à s’aligner sur le président
américain du moment. Mais les présidents passent. Et le droit subsiste.
Tiré de : Michel Gurfinkiel.com - Jérusalem n'est pas une colonie - par Michel GURFINKIEL (28 juillet 2009)
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