mardi 10 septembre 2013

Jérusalem n'est pas une colonie - par Michel GURFINKIEL

Michel GURFINKIEL

Il faudra que le Département d’Etat et le Quai d’Orsay s’expliquent un jour. Ces deux chancelleries défendent en effet, sur les frontières d’Israël et le statut des territoires que l’Etat juif a conquis en 1967, une doctrine baroque, illogique, et contraire aux règles habituelles du droit.

Le Département d’Etat et le Quai d’Orsay ne contestent pas le droit d’Israël à « occuper »  ce qu’ils appellent « Jérusalem-Est », la Cisjordanie, ou même Gaza (où l’Etat juif contrôle toujours l’espace aérien et les côtes). Cette occupation résulte de la guerre de 1967. Elle a été validée par la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui reste en vigueur jusqu’à la signature éventuelle d’un accord de paix.

Ce qu’ils contestent, c’est le contenu qu’Israël donne à son occupation. L’Etat juif aurait dû se limiter, selon eux, à un contrôle militaire, voire sécuritaire, de ces territoires, et laisser en état, pour le reste, la situation qui existait à la veille de la Guerre des Six jours, le 4 juin 1967.  En particulier, Israël n’aurait pas dû créer des « colonies » en zone « occupée », c’est à dire des ensembles d’habitation israéliens, qu’il s’agisse de quartiers nouveaux à Jérusalem ou de villes et villages nouveaux en Cisjordanie. Aujourd’hui, tant le Département d’Etat que le Quai d’Orsay estiment que ces  « colonies » constituent le principal obstacle au processus de paix israélo-palestinien et israélo-arabe. Ils exigent donc, dans un premier temps, leur « gel » immédiat, c’est à dire l’arrêt de toute nouvelle construction. Et dans un second temps leur « démantèlement » ou au minimum leur transfert à un futur Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Toutes les « colonies » sont concernées. Y compris le moindre pâté d’immeubles créé ou rénové par les Israéliens à « Jérusalem-Est » (c’est à dire au nord, à l’est et au sud de Jérusalem). Y compris un malheureux hôtel qui vient de s’ouvrir, à proximité de la Vieille Ville, dans un ancien bâtiment administratif jordanien puis israélien.

A première vue, la doctrine du Département d’Etat et du Quai d’Orsay est sévère mais juste. Mais un examen plus attentif révèle d’étranges contradictions. Les deux chancelleries se comportent comme si la « ligne verte », l’ancienne ligne de barbelés qui coupait Jérusalem en deux avant 1967, était une  « frontière internationale » . On en déduit donc qu’elles considèrent le secteur israélien d’avant 1967, « Jérusalem-Ouest », comme partie intégrante d’Israël. Et qu’elles ne voient pas d’objection à l’installation dans ce secteur, quelque part au pied de la Knesset ou de Yad-Vashem,  des ambassades américaine et française en Israël, actuellement établies à Tel-Aviv. On se trompe. Pour les deux chancelleries, Jérusalem-Ouest non plus n’est pas israélien. Où commence Israël ? Pas de réponse. Un sentiment désagréable point : pour le Département d’Etat et le Quai, Israël ne commence peut-être nulle part ; et constitue peut-être, tout entier, une « colonie », à « geler » puis à « démanteler ».

Le droit international existe. Il a ses principes, ses règles, sa jurisprudence. Que dit-il, à propos d’Israël et des territoires conquis en 1967 ?

A l’origine, il y a le Mandat de la Société des Nations (SDN). La Grande-Bretagne s’est emparée du Levant, jusque là possession turque, en 1917-1918. La SDN valide sa présence au Levant-Sud – la Palestine – en 1923. Moyennant, ainsi que le stipulent les articles II, IV, VI, VII, XI, XXII, XXIII, de cette décision,  l’engagement d’y créer un Foyer national juif, et d’y assurer une immigration juive massive.

En 1947, l’Onu, qui a succédé à la SDN, partage la Palestine en trois : un Etat juif en trois enclaves reliées par des corridors, un Etat arabe et une zone internationale à Jérusalem. Les Juifs de Palestine acceptent. Si les Arabes avaient fait de même, le Moyen-Orient n’aurait pas connu onze guerres. Mais les droits dont les Juifs disposaient dans l’ensemble de la Palestine mandataire auraient été limités au seul Etat juif.

Les Arabes refusent. Or la nature d’un traité est d’être exécuté. S’il ne l’est pas, par suite du retrait ou de la défaillance de l’une des parties concernées, la situation juridique antérieure, statu quo ante, est reconduite. Par conséquent, comme  le note dans un télégramme au Quai d’Orsay un diplomate français alors en poste à Jérusalem, les dispositions du Mandat de 1923, à commencer par le Foyer national juif, restent toujours en vigueur sur l’ensemble du territoire palestinien.

Le nouvel Etat juif, Israël, gagne la guerre. Là où il était désormais établi, le Mandat est juridiquement « accompli ». Dans les autres parties de la Palestine, les dispositions de 1923 sont mises en sommeil, mais nullement abolies. En 1967, la conquête israélienne leur rend leur actualité, ainsi que le notent des juristes de premier plan : l’Américain Eugene Rostow, ancien doyen de la faculté de droit de Yale, et ancien sous-secrétaire d’Etat sous l’administration Johnson, ou l’Australien Julius Stone, l’un des plus grands experts en droit international du XXe siècle. Israël n’est pas un « occupant », mais un souverain légitime. Il peut implanter des habitations juives dans les zones conquises. Il le doit.

Les pays où le droit joue un rôle dans le débat politique, notamment les Etats-Unis, savent bien qu’il en est ainsi. C’est pourquoi le Congrès américain a pu voter en 1995, sous l’administration Clinton, une loi enjoignant l’installation de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem. Le Département d’Etat a contré l’opération à travers une argumentation pragmatique, en faisant valoir que ce transfert était « politiquement inopportun ». Mais il s’est gardé, à l’époque, d’entrer dans un débat juridique, qu’il n’aurait pas gagné.

Le Département d’Etat et le Quai d’Orsay traînent des « cultures » antisionistes, sinon antisémites, depuis fort longtemps. La chance historique du premier, aujourd’hui,  est de travailler avec un président ouvertement anti-israélien. La chance du second, de travailler pour un président dont le pro-américanisme consiste à s’aligner sur le président américain du moment. Mais les présidents passent. Et le droit subsiste. 


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