samedi 10 août 2013

Un double conflit asymétrique - par Michel GURFINKIEL



Michel GURFINKIEL


Ce qui rend inextricable le double conflit israélo-arabe et israélo-palestinien, c'est (...) qu'il repose sur des asymétries multiples. Les conflits entre les égaux sont les plus faciles à gérer : entre Etats ou Empires de même taille et de même puissance, les affrontements tournent vite à la guerre froide, et celle-ci à la coexistence. 

Il en fut ainsi au XIIIe siècle avant l'ère chrétienne, de la rivalité entre Egyptiens et Hittites : après l'incertaine bataille de Kadesh en -1288, le pharaon Ramsès II et le roi hittite Mutawalish décidèrent de faire la paix, de s'échanger leurs filles et de devenir amis. Il en est allé de même de la rivalité Est-Ouest, ou plutôt soviéto-américaine, dans la seconde moitié du XXe siècle, la Guerre froide par excellence.

Les conflits entre puissances de tailles différentes sont plus âpres, plus acharnées, parce que le plus fort se résigne mal à ne pas soumettre le plus faible, et que celui-ci ne se résout guère à faire confiance aux assurances de paix du plus fort. 

Mais le conflit israélo-arabe entremêle, quant à lui, tous les calculs stratégiques. De 1948 à 1967, les Arabes ont cru qu'Israël, trop petit, trop peu peuplé, tomberait fatalement sous leurs coups, un jour ou l'autre. Il était donc inutile de vivre en paix avec lui, et a fortiori de le reconnaître. Et quant au problème des réfugiés arabes palestiniens, il n'était pas seulement inutile de le résoudre, puisque leur "retour" semblait inéluctable mais utile de l'entretenir, de l'aggraver, afin d'accroître la pression sur l'ennemi. Cette première asymétrie n'a jamais disparu de la vision géopolitique arabe, ni à vrai dire, de la réflexion israélienne ou occidentale. Et pour cause : en dépit de ses succès, Israël reste plus petit et moins peuplé que le monde arabe, et donc toujours vulnérable à terme.  

Mais une autre asymétrie est ensuite apparue : à court terme, et peut-être même à moyen terme, Israël s'est révélé beaucoup plus fort que ses adversaires, capable de les distancer en matière économique ou technologique, de les battre dans des guerres classiques ou de les menacer d'une guerre nucléaire. Il n'est pas facile, on en conviendra, de juxtaposer dans un même cerveau, cette nouvelle ligne de raisonnement avec la première.

Ce n'est pourtant pas tout. Voici qu'Israël, devenu le plus fort, semble abuser du faible, le peuple palestinien, qu'il s'agisse des habitants de la Cisjordanie et de Gaza, conquis en 1967, des descendants des réfugiés de 1948, toujours maintenus dans un statut précaire, ou même des Arabes israéliens ,citoyens minoritaires de l'Etat juif.

A peine a-t-on pris compte de cette troisième asymétrie qu'il en surgit une quatrième : les Palestiniens, finalement, ne sont pas si faibles que cela. Ayant le double avantage d'être imbriqués géographiquement et socialement aux israéliens, et de connaître une très forte natalité, ils pourraient un jour faire craquer Israël de l'intérieur. Si bien que plus on cherche à atténuer ou résorber l'asymétrie numéro trois, plus on en revient à l'asymétrie numéro un.

Il y a toutefois une asymétrie ultime, décisive. Les événements des années 1999-2001 l'ont à nouveau mise en évidence. La querelle de Palestine n'oppose pas, comme on le dit généralement, deux peuples palestiniens, l'un juif et l'autre arabe, ayant des droits comparables sur le même sol, mais un peuple d'Israël dont l'autodétermination, le droit à l'existence et à l'identité, ne peut être assuré que dans ce pays, et un autre peuple certes qualifié aujourd'hui de palestinien par excellence, mais qui n'est en fait qu'un élément, un sous-ensemble, d'un peuple plus grand, plus vaste, possesseur de nombreux autres pays. Israël est le seul pays juif du monde, le seul qui parle hébreu, le seul où la majorité de la population pratique la religion juive. Les Palestiniens sont un peuple arabe parmi vingt ou vingt-cinq autres. Ils parlent une langue qui a cours de l'Atlantique à l'océan Indien. La religion que la plupart d'entre eux pratiquent, l'islam, est celle d'un milliard d'hommes et a rang de religion d'Etat dans plus de cinquante pays, du maroc à l'Indonésie. Les textes fondateurs et les mots d'ordre actuels du mouvement palestinien ne laissent aucun doute à ce sujet. La Charte palestinienne de 1964, révisée en 1968, déclare, dès son premier article : "La Palestine est la patrie du peuple arabe palestinien. Elle constitue une partie inséparable de la Grande Patrie arabe. Et le peuple palestinien est une partie de la Nation arabe". La déclaration d'indépendance palestinienne de 1988 affirme : "L'Etat de Palestine est un Etat arabe, une partie intégrante et inséparable de la Nation arabe, totalement unie à cette Nation par son héritage et sa civilisation". Le Fatah, la principale organisation nationaliste palestinienne, dont Yasser Arafat est le président avant même d'être celui de l'OLP ou de l'Autorité palestinienne, reprend exactement cette formulation dans sa déclaration de politique générale du 15 novembre 1999 : "Une partie intégrante et inséparable de la Nation arabe, totalement unie à cette Nation".


Extrait de : Michel GURFINKIEL : La Cuisson du Homard. Reflexion intempestive sur la nouvelle guerre d'Israël, Editions Michalon, 2001, pp. 15-18

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