mardi 6 août 2013

Quand l'émir Fayçal s'enthousiasmait pour la Palestine juive - par CS

Le 5 mars 1919, le New York Times publie une lettre de Fayçal au dirigeant sioniste Félix Frankfurter dont l'original, signé de la main de Fayçal, est aux Archives de Jérusalem (cote Z 4/25001).

Que dit-elle ?

"Notre délégation à Paris est parfaitement au courant des propositions que l'Organisation sioniste a soumises hier à la Conférence de la Paix et elle les considère comme tout à fait fondées"

Quelles étaient ces propositions de l'Organisation sioniste qualifiées de tout à fait fondées ?

Elles incluaient dans les territoires dévolus à l'Etat juif non seulement la Judée-Samarie (ou Cisjordanie) mais une partie (20 000 km²) de la Jordanie actuelle !

Il est intéressant de noter que, selon cette même lettre, pour l'émir Fayçal, "le mouvement juif est national et non impérialiste et notre mouvement également est national et non impérialiste. Il y a en Palestine assez de place pour les deux peuples. Je crois que chacun des deux peuples a besoin du soutien de l'autre pour arriver à un véritable succès (...). J'envisage avec confiance un avenir dans lequel nous nous aiderons mutuellement, afin que les pays auxquels nous portons chacun un vif intérêt puissent à nouveau reprendre leur place au sein de la communauté des nations civilisées du monde" (cf. Renée Neher-Bernheim, La déclaration Balfour, Julliard, 1969)  

Pour mesurer l'étendue des propos écrits par Fayçal, il convient de rappeler :
-le contexte géopolitique de l'époque
-la personnalité de l'émir Fayçal
-la raison de l'échec du projet de l'émir

1°) Le contexte géopolitique

En 1915, les Anglais promettent aux Hachémites de créer un immense Etat arabe qui rassemblera l'Arabie, la Syrie et la Mésopotamie. Deux ans plus tard, en 1917, la déclaration Balfour reconnaît aux juifs le droit à un foyer national en Palestine. En 1918, alors que la première guerre mondiale prend fin, l'optimisme des nationalistes arabes et des sionistes se nourrit en concomitance aussi bien de la défaite allemande (puisqu'elle entraîne le démembrement de l'empire ottoman) que du discours du président américain Wilson sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La disparition de l'empire ottoman constitue une rupture majeure au Proche et au Moyen-Orient dans la mesure où un ordre multiséculaire disparaît. C'est dans ce contexte que des dirigeants sionistes et arabes nouent des relations cordiales : Haïm Weizmann (chef de l'exécutif sioniste et spécialement mandaté auprès de la couronne britannique) rencontre l'émir Fayçal (fils du roi Hussein du Hedjaz, il a dirigé la révolte arabe contre l'empire ottoman avec l'aide de Lawrence d'Arabie).


De ces relations cordiales et de cette rencontre entre Haïm Weizmann et l'émir Fayçal naît un accord extraordinaire formulé dans le cadre de la Conférence de la Paix qui s'ouvre à Paris le 3 janvier 1919.

En quoi consiste cet accord ?  NON SEULEMENT LA DECLARATION BALFOUR EST CONFIRMEE MAIS FAYCAL ACCEPTE LA CREATION D'UNE PALESTINE JUIVE DISTINCTE DU ROYAUME ARABE, CETTE PALESTINE JUIVE INCLUANT LA CISJORDANIE ET UNE PARTIE DE LA JORDANIE ACTUELLE.

Dans cette lettre de mars 1919 qui, rappelons-le, est destinée à Félix Frankfurter et publiée par le New-York Times, l'émir Fayçal expose sa vision : la collaboration entre Juifs et Arabes est "la condition la plus sûre pour la réalisation des aspirations nationales des deux parties". En effet, Arabes et Juifs appartiennent à la même famille, leurs mouvements nationaux sont légitimes et "se complètent l'un l'autre". Autrement dit, il est dans leur intérêt commun de coopérer, l'objectif final étant de bâtir un "nouveau Proche-Orient" émancipé et moderne. C'est pourquoi Fayçal fait savoir que "l'idéal du docteur Weizmann est le nôtre" et "les Juifs rentrant dans leur pays (sic) sont les bienvenus".

2°) La personnalité de l'émir Fayçal

Fayçal Ibn Hussein (1883-1933) est le leader de la révolte arabe contre les Ottomans. Ses opinions panarabes et nationalistes l'amènent à exprimer son grand dessein : "le but des mouvements nationalistes arabes (...) est d'unir finalement les Arabes en une seule nation (...). Nous croyons que notre idéal d'unité arabe en Asie est justifié sans avoir besoin d'argument". Lors de la grande révolte arabe contre les forces ottomanes, il conduit lui-même l'armée du nord forte de 40 000 hommes. Le leadership incontestable de Fayçal n'offre que plus de poids à ses propos entièrement favorables au projet sioniste.

3°) Les causes de l'échec du projet de Fayçal

Pour Fayçal, l'immigration juive est un atout dans la mesure où elle permet d'obtenir d'une part l'appui américain à la création d'un royaume arabe ; elle permet d'autre part l'apport des capitaux nécessaires au développement du Moyen-Orient. 

Mais le grand projet de Fayçal de royaume arabe vivant en parfaite harmonie avec la Palestine juive (qui, rappelons-le une dernière fois, devait inclure la Cisjordanie et une partie de la Jordanie actuelle... !) s'effondre, victime des tractations entre les diplomaties britannique et française.

Pourquoi et comment le Royaume-Uni et la France réduisent-ils à néant ce projet de nouveau Proche-Orient ?

De fait, Fayçal qui s'autoproclame roi de Syrie, conditionne son respect de l'accord de janvier 1919 à celui des Britanniques vis-à-vis de leurs engagements pour l'unité arabe. Or, les accords Sykes-Picot passés secrètement entre le Royaume-Uni et la France en 1916, amènent la France à devenir puissance mandataire en Syrie dès 1920. S'il est vrai que l'émir devient roi d'Irak en guise de compensation et que dans le même temps la Transjordanie est confiée à son frère Abdallah, il n'en demeure pas moins que les Britanniques prouvent par là qu'ils préfèrent composer avec les Français plutôt que de conforter Fayçal dans son projet d'unité arabe. Autrement dit, les Britanniques l'ont trahi et Fayçal considère que les sionistes n'ont pas été capables de servir les intérêts arabes. 

Cela dit, on ne peut pas ne pas observer que Fayçal abandonne dès mars-avril 1919 le principe d'égalité des droits entre Juifs et Arabes, il considère en effet que la Palestine fait partie de la Syrie et la Syrie du futur royaume arabe. On ne peut donc pas imputer l'échec du nouveau proche-Orient constitué d'une Palestine juive et d'un grand royaume arabe aux seuls accords Sykes-Picot.

Quoi qu'il en soit, on peut retenir que Fayçal reste le premier dirigeant à avoir entamé un dialogue constructif avec les sionistes et que le caractère juif de la Palestine lui a paru évident jusqu'à l'enthousiasmer.

CS

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