jeudi 8 août 2013

La légende d'une Palestine occidentale arabe - par Claude FRANCK et Michel HERSZLIKOWICZ

La partie occidentale de la Palestine (que recouvre le territoire actuel de l'Etat d'Israël) constituait jusqu'à la fin du XIXème siècle une terre en grande partie vide et presque entièrement désertique. Au cours de son histoire elle ne servit de base territoriale à aucun Etat arabe indépendant et ne constitua jamais une entité autonome aux yeux des Arabes eux-mêmes.

1-Caractère quasi désertique de la Palestine occidentale jusqu'à la fin du XIXème siècle

Contrairement à un mythe enraciné solidement depuis peu, la Palestine occidentale était, il y a [un peu plus] d'une centaine d'années, largement inhabitée. Aucune population arabe d'importance n'y vivait alors. Tous les visiteurs et les géographes en ont porté témoignage. Chateaubriand, qui voyagea en Terre Sainte en 1806, a laissé de la plaine de Sharon, où vivent actuellement les trois quarts des Israéliens, une description classique :

"Nous avançâmes dans la plaine de Sharon dont l'Ecriture loue la beauté... Le sol est une arête fine, blanche et rouge et qui paraît, quoique sablonneuse, d'une extrême fertilité. Mais grâce au despotisme musulman, ce sol n'offre de toutes parts que des chardons, des herbes sèches et flétries, entremêlées de chétives plantations de coton, de doura, d'orge et de froment. Ca et là paraissent quelques villages toujours en ruines, quelques bouquets d'oliviers et de sycomores...
"Il est certain que la tristesse de ces lieux semble respirer dans les cantiques du prophète des douleurs" (1).

Quant à la Judée, où est actuellement installé l'autre quart de la population israélienne, l'auteur du Génie du christianisme la dépeignit en ces termes :

"Quand on voyage dans la Judée, d'abord un grand ennui saisit le coeur ; mais lorsque passant de solitude en solitude, l'espace s'étend sans bornes devant vous, peu à peu l'ennui se dissipe ; on éprouve une terreur secrète qui, loin d'abaisser l'âme, donne du courage et élève le génie... Dieu même a parlé sur ces bords (du Jourdain) : les torrents desséchés, les rochers fendus, les tombeaux entrouverts attestent le prodige ; le Désert paraît encore muet de terreur, et l'on dirait qu'il n'a osé rompre le silence depuis qu'il a entendu la voix de l'Eternel" (2).

Une trentaine d'années plus tard, Lamartine demeurait interdit devant les ruines de l'ancienne capitale d'Israël : 

"Nous fûmes assis tout le jour en face des portes principales de Jérusalem... Nous ne vîmes rien, nous n'entendîmes rien ; le même vide, le même silence à l'entrée d'une ville de 30 000 âmes, pendant les douze heures du jour, que si nous eussions passé devant les portes mortes de Pompéi ou d'Herculanum" (3).

La population de la Palestine que Volney estimait en 1785 à un peu moins de 200.000 âmes (4), n'était plus guère estimée au milieu du XIXème siècle qu'à un chiffre variant de 50.000 à 100.000 habitants, selon les auteurs (5). C'est à cette époque qu'Alexander Keith, rappelant les observations faites par le philosophe français, pouvait écrire : "De son temps, le pays n'avait pas atteint le degré le plus bas de désolation et de dépeuplement" (6. Le grand romancier américain Mark Twain, qui a visité la terre d'Israël en 1867, y a vu :  

"Un pays de désolation dont le sol est cependant suffisamment riche, mais entièrement abandonné aux ronces, une immense étendue triste et silencieuse... Une désolation telle que l'imagination la plus fertile ne peut la parer des effets de la vie et de l'action. Nous sommes arrivés sains et saufs au Thabor... Nous n'avons pas rencontrés un être humain sur tout le trajet. La palestine est désolée et laide... 
"La Palestine n'est plus de notre monde. Elle reste sacrée pour la poésie et la tradition, mais elle n'est plus qu'un pays de rêves" (7).

Lorsque commença, aux alentours de 1880, le premier grand mouvement organisé de retour des Juifs européens dans leur Patrie historique, celle-ci n'était plus qu'une contrée dépeuplée et entièrement déboisée. Au nord, les vallées de Galilée, autrefois fertiles, étaient couvertes de marécages, tandis qu'au sud s'étendait le Négev, entièrement désertique. Les quelques Arabes qui se maintenaient péniblement sur cette terre inhospitalière, vivaient généralement dans de petites bourgades situées à proximité du Jourdain (Naplouse, Ramallah, Jéricho, Hébron) et ne devaient de subsister qu'aux liens qui les unissaient aux Palestiniens établis sur l'autre rive du fleuve. Leur situation a été admirablement décrite par Samuel Katz : 

"L'autorité centrale lointaine de Constantinople ne se manifestait que pour leur enlever leur fils et le percepteur local les pressait jusqu'au sang. Le village sur la colline devait être défendu et et la tribu voisine combattue dans un cycle de représailles mutuellement destructives" (8).

Sans doute, la situation commence-t-elle à changer dans les dernières années du XIXème siècle, avec l'immigration en Palestine de nombreux Arabes attirés par les créations d'emplois résultant de l'extraordinaire essor économique apporté au pays par les sionistes. On verra même que, de 1920 à 1935, les Arabes des pays voisins seront au moins aussi nombreux que les immigrants juifs à venir s'installer en Terre d'Israël (9).

Ce bref survol historique permet d'apprécier à sa juste valeur la légende de l'existence immémoriale en Terre sainte d'une authentique nation arabe palestinienne que les Juifs auraient expulsée pour y édifier l'Etat d'Israël.

2-Inexistence historique d'une entité palestinienne arabe

A la différence des Juifs, les Arabes n'ont jamais établi - ni même songé à établir - un quelconque Etat indépendant en Palestine. Celle-ci, même lorsqu'elle passa quatre siècles et demi sous domination arabe (640-1099), fut traitée comme un marais stagnant d'un vaste empire qui eut pour siège, successivement Damas (les Omeyades), Bagdad (les Abassides), enfin le Caire (les Fatimides). Pour ses maîtres éphémères, elle était un champ de bataille, un corridor, parfois un avant-poste, et ses rares habitants une source de revenus. Elle n'a jamais joué le moindre rôle dans l'essor de la brillante civilisation arabe du moyen-âge. Sans doute, la faiblesse numérique de sa population ne le lui permettait pas. Le fameux chroniqueur arabe Al Maqdisi, qui était lui-même né à Jérusalem dans la seconde moitié du Xème siècle, remarquait que de son temps les Juifs et les chrétiens étaient nettement plus nombreux dans la Ville sainte que ses coreligionnaires musulmans. 

Après l'effondrement définitif des Croisés, les Arabes qui ont réussi à se maintenir dans le pays, furent, à l'instar des Juifs et des chrétiens, systématiquement massacrés par les Mongols, qui dévastèrent tout le Moyen-Orient au XIIIème siècle avant d'être vaincus par les Mameluks. Sous ceux-ci (1260-1516), puis sous les Turcs (1517-1917), la palestine fut gouverne par des musulmans non arabes sans que la poignée d'Arabes autochtones ne manifestent jamais au cours des siècles la moindre velléité de révolte ni même de résistance. C'est à peine si, au début du XXème siècle, quelques rares éléments chrétiens s'intéressaient aux menées que tramaient dans le Liban voisin leurs coreligionnaires soucieux de secouer le joug ottoman.

Au cours de la Première guerre mondiale, les Arabes palestiniens firent preuve d'un loyalisme à toute épreuve à l'égard de la Turquie (10).

Lors de l'effondrement de l'Empire turc, ils se voyaient, au mieux, comme les citoyens de la province méridionale de la "Grande Syrie arabe". Tel était notamment le programme que défendaient les plus nationalistes d'entre eux, groupés au sein du Congrès national syrien qui siégeait à Damas en 1919 (11). L'idée que la Palestine occidentale pusse accéder seule à l'indépendance leur semblait tellement impensable que les revendications maximalistes arabes, pendant l'entre-deux-guerres tournèrent essentiellement autour de ce projet (12). Et, lorsqu'en 1948, les armées des quatre Etats arabes voisins envahirent l'Etat d'Israël tout juste reconstitué, ce fut, pour chacun des conquérants potentiels, dans un but d'annexion pure et simple. La création d'un "Etat palestinien" sur les ruines d'Israël n'étaient sérieusement envisagée par personne et surtout pas par les "palestiniens", qui ne prirent aucune part à cette guerre (1948-1949).

Ce ne fut qu'à partir de la guerre des Six-Jours (1967), qu'une histoire de fantaisie allait être imaginée pour donner l'apparence d'une justification à l' "Etat palestinien".

Extrait de : Claude FRANCK et Michel HERSZLIKOWICZ, Le Sionisme, Presses Universitaires de France, coll. Que Sais-Je ? 3e édit., 1993, pp. 6-11

 

(1) CHATEAUBRIAND, Itinéraire de Paris à Jérusalem, LE NORMANT édit., Paris, 1811, t. II, pp. 129-130 et 137
(2) Ibid, pp. 177-178   
(3) LAMARTINE, Voyage en Orient (1835), L. HACHETTE édit., 1869, t. I, p. 347
(5)  Les limites inhérentes au présent ouvrage ne permettent pas de faire état ici de ces diverses estimations qui figurent dans l'ouvrage classique de Jacob de HAAS, History of Palestine, the last two thousand years, New-York, 1934, pp. 39 et suiv.
(6) The land of Israël, Edimbourg, 1844, p. 465
(7) The innocents abroad, New-York, rééd. 1966, pp. 351, 401 et 441
(8) Samuel KATZ , Israël face au mythe de la Palestine, trad. franç., Albatros, 1976, p. 102
(9) Cf. ci-dessous, p. 32
(10) Ce phénomène est attesté tant par le plus haut responsable militaire turc de Palestine (cf. Ahmed DJEMAL, Memories of a turhish statesman, 1913-1919, New-York, 1922), que par le chef du service de renseignements de l'armée britannique, le colonel MEINERTZHAGEN (Middle East Diary, Londres, 1959, p. 7)
(11) Le programme de cet organisme a été exposé de manière très précise dans son mémorandum à la commission King Crane
(12) Les Syriens n'y ont jamais renoncé. Non seulement ils se sont toujours refusé à reconnaître l'indépendance du Liban, mais leur président, le général Hafez-El-Assad, proclamait encore en 1974 : "La Palestine est partie intégrante de la Syrie méridionale" (cf. New-York Times du 9 mars 1974)

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