mercredi 21 août 2013

Al Aqsa : j’ai découvert l’entrée du Second Temple - par Dr Qanta AHMED

 Article tiré de JForum - Le portail juif francophone

 

Adaptation :  Marc BRZUSTOWSKI

 

 Le Dr. Qanta Ahmed
est professeur de médecine
associée à l’Université de l’Etat de New York


En grandissant, j’ai acquis l’habitude de mon père, qui consiste à collectionner les visites d’édifices pour me nourrir l’esprit. C’est ainsi que cette passion m’a amenée ici, sur le Mont du Temple. Sous ce Dôme, je peux enfin savourer l’héritage de mon père : son attachement sans bornes au romantisme des architectures délabrées, qui, à présent, nous communiquent à tous deux, les formes d’expression hors-pair de la beauté sanctuarisée, le testament le plus précieux pour une fille digne de son père.

Les anciens architectes de l’Islam possédaient une imagination débridée, de telles appétences pour la beauté, mais aujourd’hui, tout ce qu’il en reste, ce ne sont que comme des os blanchis par le soleil, des mosaïques décolorées, des jardins presque chauves, et rares sont ceux, parmi les visiteurs aveugles, qui pourraient comprendre la beauté originelle qui nous entoure.


Différences évidentes entre ancienne et nouvelle structure.
 
En quittant le Dôme, nous avons marché vers le Sud, vers Al Aqsa. Il faisait encore très chaud. Sur le seuil de la porte, quatre hommes bavardaient gentiment, intrigués par cette scène de la touriste américaine arrivant avec son guide. Patiemment, ils attendaient la prière d’al Asr. Je reprenais mes esprits. La scène paraissait plus animée, l’expression de leurs visages, d’une amabilité rafraîchissante.


Un labyrinthe d’échafaudages. 

Alors que nous entrions, mon regard tomba sur les étagères de livres encerclant des piliers massifs. Ils semblaient d’une homogénéité suspecte –des copies du Coran, toutes du même éditeur. Personne n’en avait bougé un seul de sa place. D’autres étagères délabrées étaient à nu, attendant de recueillir les chaussures des fidèles. Nous étions là entre deux temps de prière. Al Aqsa était singulièrement vide.


Les mêmes échafaudages, avec du recul

 
Des toits bas en forme de dôme s’arqueboutaient au-dessus de nos têtes, tous taillés dans le même calcaire. Des couloirs agréables s’étiraient vers les halls longitudinaux. Ici et là, une femme isolée étudiait son Coran.

A part cela, Ibrahim et moi étions seuls. Nous avons tourné au coin de l’allée et, en nous approchant d’un vestibule plus petit, nous nous sommes trouvés confrontés à d’énormes colonnes. Leur diamètre était plus épais que la taille d’un géant et ils apparaissaient disproportionnés, en comparaison avec le toît plutôt bas. Chacun de ces piliers massifs était soigneusement soutenu par des contreforts modernes de béton et des gaines d’acier. Ces piliers semblaient tellement plus anciens. De toute évidence, ils n’appartenaient pas à Al Aqsa.

Tout près de moi, Ibrahim indiquait le toit au-dessus de nos têtes. Une claire distinction, tranchant net dans l’assemblage des divers travaux de maçonnerie, était flagrante.


Les colonnes qu’on peut voir très distinctement. (photo : Qanta Ahmed) 

C’était l’entrée du Second Temple Juif, qui se tenait là, avant Al Aqsa. Vous pouvez voir que c’est absolument différent ». Et sans aucun doute, c’était facile à constater, cela avait bien été un lieu de pèlerinage et de culte pour les Juifs, bien des siècles auparavant. Peut-être nous tenions-nous juste devant la porte d’entrée. En quelque sorte, ces arches robustes, ces piliers massifs avaient échappé, même à la destruction acharnée du Second Temple par les Romains. Avant que nous ayons fait nôtre cet endroit, c’était, sans l’ombre d’un doute, le leur.

Nous nous trouvons sur une terre empruntée à d’autres. Quelque chose d’aussi antique nous semblait incroyable, confrontés que nous étions à la réalité profonde précédant l’Islam, nous tombions littéralement dans le silence partagé de jeunes croyants médusés et respectueux.


Les distinctions facilement perceptibles entre les diverses périodes et couches de maçonnerie du Temple juif (photo : Qanta Ahmed)

 
Revenant sur nos pas, nous sommes retournés au niveau principal, où Ibrahim me faisait remarquer la série de piliers somptueux jusqu’à l’obscénité, qui se dressait dans un contraste saisissant avec la structure principale.


Les Piliers de Mussolini (photo : Qanta Ahmed) 

“Des cadeaux de Mussolini” m’expliqua t-il. Le Duce cultivait les faveurs à l’intention du grand Mufti de Jérusalem d’alors, un antisémite déclaré et un fasciste pro-hitlérien avide. Ces piliers de marbre Carrera ont pu être une façon de le soudoyer ou une récompense pour ses loyaux services, probablement les deux à la fois. Quoi qu’il en soit, cela avait tout l’air d’un affront architectural. Dans la structure austère du septième siècle, ceux-là étaient comme l’appel claironnant au mariage de l’arrogance et de la surabondance, qui pourrait aisément définir l’empire pétro-islamique moderne. Après avoir aperçu l’escalier sculpté de la chaire d’un imam, un cadeau de la Syrie, et étudié les vitraux teintés si spectaculaires qui, d’une certaine façon, demeuraient intacts, Ibrahim m’a demandé si je voulais attendre pour la prière d’al Asr. Je ne l’ai pas voulu.

En quittant le Dôme d’Or, je le voyais briller dans le soleil couchant, d’une radiation toujours si magnétique. En descendant les marches, je dérobais un dernier coup d’œil final en me retournant, exactement comme je le fais à chaque fois que je quitte la Mecque. Encadré par de majestueux cyprès malachites, le disque devenu liquide se fondait dans le soleil couchant. Je sentais mon cœur battre la chamade.

Alors que le Dôme doré serait, effectivement, le joyau de la couronne extraordinaire de Jérusalem, le véritable diadème d’Israël, de nos jours, j’avais eu le privilège de percevoir au-delà du symbole. Aujourd’hui, plutôt qu’un trésor géré par les Vice-régents de D.ieu, le dôme n’était rien de plus qu’un code secret à déchiffrer, qu’un prix politique laissé en gage,au profit des Islamistes. Devenu inconsistant, par le fait du monde musulman moderne qui ose prétendre à sa légitimité, au détriment de sa noble intégrité, à présent, dévoyée, il ne reste plus guère que la mémoire d’un Islam romantique, en voie d’extinction qui l’anime encore.

De loin, nos communautés arabes étincellent comme le Dôme éblouissant. De loin, leur prospérité dorée et leur puissance intimident et définissent ce que doit être l’histoire en train de se faire. Dans le miroir trompeur de notre reflet d’or, nous oublions que le Dôme ne définit pas un, mais deux peuples. A l’intérieur, la vision la plus superficielle révèle un patchwork de décadence et de négligence qui entoure le coeur de notre spiritualité. Ce ne sont pas seulement les Juifs qui sont en deuil du Mont du Temple, mais aussi les Musulmans. Alors que les disciples de Moïse pleurent la destruction du Second Temple et avant lui, du Premier, les disciples de Mahomet devraient aussi se lamenter sur les vestiges de la dernière Foi révélée.

Nos valeurs spirituelles, en tant que Musulmans modernes, ont dépéri sous la suffocation d’un vague ritualisme conférant les signes extérieurs de la religiosité, mais qui dissimulent si mal l’aridité de nos âmes.

Nous séchons sur pied, sous les impositions de la dureté de l’Islam concret. Le Wahhabisme austère, et d’une prospérité effarante, a quadrillé l’espace public global des Musulmans, au détriment de la noblesse de notre histoire. Incontable et incontesté, son étreinte prométhéenne nous entraîne vers notre dernier souffle.

Que de menus profits et mesquineries sous une telle domination. Pas même les sols fertiles et bénis de Jérusalem, don de D.ieu, ni les siècles ininterrompus de prières investies par les Gardiens les plus fidèles de l’Alliance avec l’antique Sainteté de ce Lieu, le Saint des Saints, ni même les brisures du Rocher sacré qui s’est refermé sur Adam, la pierre que Gabriel a soulevé jusqu’à l’ascension de Bouraq, alors que la terre tremblait et que Mahomet s’élançait, pas même l’ombre de D.ieu Lui-même sous laquelle je marchais, ce jour-là – rien de tout cela ne nous pousse à nous élever, à présent.

Nulle part ailleurs, au cours de mes voyages et les recoins de ma mémoire imparfaite, l’action corrosive de l’Islamisme ne m’a semblé plus criante que depuis le sein flétri de la Mosquée Lointaine. C’est là que nous sommes devenus les Musulmans les plus éloignés. Je ressens notre dérive avec plus d’acuité à Jérusalem, l’aimable biographe de l’histoire du monde, le cœur battant, romantique de toute croyance, de tous les peuples, de tous les Livres. Jérusalem, mes chers amis musulmans, est le lieu de résidence d’un dôme doré devenu parfaitement creux, rien de plus que l’enveloppe évanescente de la richesse qui était autrefois contenue à l’intérieur. Elle n’est plus à nous.

Article tiré de JForum - Le portail juif francophone

 

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